Quelle marque pour Paris?


Nous sommes en 2013, et presque toutes les grandes métropoles à l’échelle mondiale se sont dotées d’une marque, la plupart avec un succès avéré. Pour asseoir une identité, définir une vision ou un projet commun, elles ont su, avec succès, tirer partie d’un levier stratégique qui ne cesse de s’étendre au-delà des frontières strictement commerciales. Même Seattle, autrefois centre névralgique des activistes du No Logo, a récemment suivi le mouvement.


Toutes ? Non. Car une ville peuplée d’irréductibles gaulois résiste toujours aux sirènes du city-branding… Paris, ville lumière, rayonnante par son patrimoine immatériel et culturel, pourra-t-elle encore longtemps se démarquer de la sorte ?


Fait notable, la « marque Paris » a été posée comme un des sujets de campagne par la candidate socialiste pour les échéances de 2014. Le contexte est favorable à cette marque en devenir, en particulier auprès de sa cible externe. A la fois touristique puisque Paris est la capitale de la 1ère destination mondiale, mais aussi économique : en 2013, Paris est passé de la 6ème à la 4ème place des métropoles les plus attractives pour les investisseurs étrangers. Les acteurs institutionnels ont d’ailleurs bien compris quel formidable levier commercial représente la capitale. Le 5 décembre, la Mairie de Paris lancera la « 1ère boutique de Paris en ligne », sur laquelle seront proposés « 250 produits emblématiques du patrimoine parisien ». Donner du sens à cette dynamique, lui insuffler une vision, dans le respect de son identité multiple, voilà le défi que représente la marque Paris.


Aujourd’hui il existe bien entendu des marques « officielles » qui s’expriment pour Paris. Mais elles n’en expriment que la dimension institutionnelle ou territoriale et ne peuvent s’adresser au triptyque citadins/touristes/investisseurs. Les marques « Mairie de Paris », « Grand Paris », « Paris Métropole », « Le Nouveau Paris Île-de-France » ne peuvent, par leur fonction même, fédérer les trois publics autour d’un projet commun.


Le 1er point de blocage à l’édification d’une marque Paris est d’ordre institutionnel. Boris Maynadier, chercheur en marketing et expert du city-branding, relève la difficulté qu’ont eut les parties à s’accorder sur ce sujet au cours des dernières années. « Le retard de Paris c’est une question d’organisation interne, institutionnelle. C’est plus facile à enclencher sur des villes relativement moyennes car il y a moins d’acteurs ». Il a également fallu dépasser une vision restrictive de la marque, fondée uniquement sur ses codes (logotype en tête) pour comprendre qu’une création de marque repose avant tout sur une stratégie : « il y avait eu un appel d’offre auprès d’agences de design pour lui donner une identité graphique. Mais ça n’a pas aboutit car la base n’est pas encore présente et assise. On avait mis la charrue avant les bœufs ».


Autre difficulté pour la création d’une marque Paris : trouver un élément d’identité fédérateur, qui soit pertinent pour toutes ses cibles, alors que Paris est avant tout un espace de contrastes. En interne d’abord, par la diversité de ses habitants : seulement 1 résident sur 4 est né à Paris. «Ca n’est pas évident de trouver un dénominateur commun. Il y a une très forte diversité à Paris », souligne Boris Maynadier. Mais le décalage le plus flagrant se situe bien sûr entre sa cible interne et externe. Les clichés touristiques toujours associés à Paris sont forcément réducteurs pour ses habitants : « Pour Paris on a tout un ensemble de clichés, notamment une image de ville de romantisme, l’esprit français très caractérisé dans cette ville. Il faut savoir les dépasser ». Paris demeure pour beaucoup une carte postale et continue de nourrir l’imaginaire (voire les fantasmes), comme en témoigne par exemple les images du « Minuit à Paris » de Woody Allen sorti en 2011 (« You act like you’ve never been here before ! »).

 

Dans les représentations toujours très présentes on retrouve également l’éternelle association Paris – luxe, un levier exploité dans l’univers de la mode ou du parfum (mettre logos) mais qui reste peu résonnant pour les citadins : « Il n’y a pas un vrai attachement à la dimension luxe de Paris pour la cible interne ».

 

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Aujourd’hui Paris est donc surtout utilisé comme une caution par les marques commerciales. Le récent changement d’identité visuelle du PSG, bien qu’anecdotique, est révélateur : la mention « St Germain » a pratiquement disparu au profit de « Paris ». « Avec le changement d’identité l’attachement du club pour se ville s’exprime plus clairement », constate Boris Maynadier. Les slogans du club « Paris est magique » ou « Rêvons plus grand » avec la Tour Eiffel en toile de fond pourraient facilement sortir du cadre footbalistique et être assimilés à sa ville d’accueil.

 

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En fin de compte le risque est celui de la dilution du sens et de voir la marque Paris lui échapper. En témoigne la « guerre des colas » qui a opposé, durant l’été 2013, ParisGo Cola et Paris Cola. On retrouve d’ailleurs dans ce duel, à travers le nom de la marque et son identité visuelle, l’affrontement entre 2 visions de Paris : le « Paris des Parisiens » et celui des touristes, la première se voulant « authentique », l’autre sublimée. Une ambivalence faite de stéréotypes, avec, dans les 2 cas, la tour Eiffel comme élément symbolique central (la dame de fer est 1er signifiant de Paris en publicité, utilisé dans 85% des cas où Paris est représenté). Les représentations de Paris se côtoient, s’affrontent parfois et chacun veut s’en faire le représentant légitime, pour toujours mieux capitaliser sur ce qui fait l’essence de la  ville. En témoigne d’ailleurs le lancement, en Septembre dernier, de la marque de prêt-à-porter « Paris Nord ». Un nom qui renvoie, pour son fondateur, au « vrai Paris » par opposition aux marques chics de la rive gauche.

 

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Alors que le gouvernement poursuit son action pour l’édification d’une « marque France », le branding de sa capitale devient donc de plus en plus inéluctable. Comme le rappelle Boris Maynadier, les deux entités sont indissociables. Leurs liens sont devenus si étroits que dans certains secteurs comme le luxe, Paris est devenue un signifiant de  la mère patrie : « Paris fonctionne comme une métonymie  de la France. Quand ont dit « Paris » on a l’impression de dire « la France entière ». Désormais, le « Paris » adossé au nom des marques de luxe vient presque se substituer au « made in France » dans l’esprit des consommateurs. La préservation et la valorisation de ce nom devient donc un impératif stratégique.


Alors, quelles stratégies pour la marque Paris ? Par son histoire, son statut, son organisation, la ville est extrêmement riche d’évocations et de sens. Les scénarii possibles sont donc multiples et le chantier ne démarrera certainement pas avant les prochaines élections. On peut toutefois esquisser des pistes de réflexion. Du fait des divergences de perceptions entre ses différents publics, suivre une logique « identitaire » (dire ce qu’elle est) comporte le risque de figer Paris dans une caricature ou de tomber dans l’écueil du générique. L’enjeu est donc d’identifier ce qui, dans l’ADN de la marque, est à la fois distinctif et réellement pertinent pour ses cibles. L’une des possibilités pourrait être de capitaliser sur la notion d’«Art de vivre », dont Paris est devenu le représentant au fil des siècles. A tel point qu’une websérie produite par BFM et un livre portent tous deux le nom de « Paris, Art de vivre ».  L’expression « art de vivre » a d’ailleurs l’avantage d’associer l’idée de simplicité et de raffinement, et comporte un champ d’expression est extrêmement large (gastronomie, culture, styles de vie…). Rappelons d’ailleurs que la ville est en pole position des métropoles mondiale sur le critère « qualité de vie » d’après une enquête réalisée en 2012 par PWC. Pour Boris Maynadier, l’autre option serait de suivre l’exemple de villes comme Amsterdam, Toulouse ou Lyon : choisir la voie « relationnelle », s’appuyer sur  la relation entre la ville et son public plutôt que sur la ville elle-même. « Comment échapper au plus évident des clichés ? Le fait de faire des logos relationnels à la 1ère personne permet de contourner cet écueil-là ».


Quelle que sera la stratégie adoptée, il ne s’agira pas simplement de créer la marque « de » Paris mais une marque « pour » Paris qui soit, au-delà des signes et de leur sens, porteuse d’une vraie vision sur le marché mondial des marques villes.

 

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